
À 94 ans, l'aviateur mythique André Turcat, entouré par sa famille, s'est éteint hier soir à son domicile. « Il a déposé son dernier plan de vol », a annoncé hier soir un de ses proches qui l'entourait au Tholonet près d'Aix-en-Provence. Turcat, né à Marseille le 23 octobre 1921, s'était rapproché de la Provence après sa retraite et une longue carrière à Toulouse.
Ce pilote aux commandes du Concorde lors de son premier vol le 2 mars 1969 était à l'époque en même temps directeur des essais en vol de Sud-Aviation. C'était alors le nom du constructeur aéronautique de Toulouse, devenu ensuite Aérospatiale, puis, plus récemment Airbus. Turcat était également en place gauche pour le premier vol supersonique de l'avion franco-britannique. Mais cette carrière aux commandes du premier avion supersonique civil avait été précédée d'un non moins brillant parcours militaire. Turcat, ingénieur polytechnicien, puis pilote dans l'armée de l'air, avait rejoint les forces aériennes de la France libre. Il avait ensuite piloté des DC3 d'évacuation sanitaire en Indochine, avant d'être admis en 1950 à l'École du personnel navigant d'essais et de réception (EPNER) basée alors au centre d'essais en vol de Brétigny-sur-Orge (et aujourd'hui à Istres). Ayant reçu son brevet de pilote d'essais l'année suivante, il réalise le premier record mondial de vitesse d'après-guerre, aux commandes du Griffon, en 1959. Ce démonstrateur à réaction de Nord-Aviation (fusionné ensuite avec Sud-Aviation) n'a pas eu de descendance directe, mais il a permis à l'aéronautique française de progresser remarquablement. Turcat, dans ses nombreux ouvrages et Mémoires chez Stock ou Le Cherche Midi, y revient souvent.
En 1975, Concorde est à la veille d'entrer en service commercial chez Air France et British Airways. Le programme d'essais se termine. Le mini-manche qui sera généralisé sur les Airbus d'aujourd'hui est mis au point, actionnant des commandes électriques de vol. Mais André Turcat s'ennuie. Ne voyant pas venir une version améliorée du supersonique franco-britannique, il prend une retraite anticipée à 54 ans. Il reste un temps consultant aéronautique, mais « il ne renouvelle pas sa licence de pilote, prouvant implicitement qu'il a vraiment tourné la page », écrit Pierre Sparaco, également récemment disparu, dans une biographie très complète et intimiste d'André Turcat parue cet été chez Privat. Ce journaliste d'Aviation Week, qui a suivi un demi-siècle d'aéronautique, a par ailleurs révélé l'existence d'un manuscrit de Turcat, non publié à ce jour, La Soif d'apprendre. Cet essai sur la curiosité intellectuelle montre que, chez l'ancien pilote, l'activité ne s'arrêtait jamais. Quelques jours avant sa mort, ce croyant travaillait encore à son doctorat de théologie. Ayant déjà appris le grec ancien lors de ses études secondaires, il s'intéressait à l'hébreu, une deuxième langue étant demandée pour le diplôme, et traduisait en français le livre de Job, une des références de l'Ancien Testament. Pluridisciplinaire, André Turcat a également écrit un recueil de poèmes.
Proche de Valéry Giscard d'Estaing, un camarade de Polytechnique, qu'il avait emmené en vol d'essais du Concorde, André Turcat sera deux ans député européen RPR, mais il ne poursuivra pas sa carrière politique. Toujours dans le souci de transmettre le savoir, il fut le fondateur et le premier président en 1983 de l'Académie de l'air et de l'espace.
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